1930, Mileva Maric, ex-femme d'Albert Einstein, vient de vivre une des journées les plus éprouvantes de sa vie - elle a conduit son plus jeune fils Eduard - 20 ans, à l'asile du Burghölzli de Zurich et est repartie, seule, rongée de culpabilité et de désespoir. Dans le même temps Albert à Berlin s'interroge : alors que le monde se referme sur lui, devenu ennemi du régime hitlerien, que convient-il de faire pour ce fils qui l'inquiète depuis longtemps et sera bientôt diagnostiqué schizophrène ? Et Eduard dans tout cela ? Eduard rêve, imagine, sanctionne, philosophe aussi... que lui sert donc d'être le fils du plus grand génie du siècle, un absent qu'il déteste, et ne peut-il se définir que comme fils de... ? Jamais plus Eduard, vulnérable, souffrant mais aussi dangereux ne quittera vraiment l'asile, jamais plus ses parents ne se libéreront de la lourde charge de l'enfant malade...
Que voici un roman fascinant, mené à trois voix celles d'Eduard, de Mileva et d'Albert, il tisse l'histoire d'une famille brisée qui n'existe plus que par la maladie d'un des fils. Car c'est bien de cela qu'il s'agit... Après leur divorce, Albert et Mileva aurait pu cesser totalement de correspondre - peut être cela eut-il été mieux pour Mileva après tout - mais un fils malade, incurable, fou... dont il faut prendre soin - serait-ce de loin, pour lequel il faut prendre des décisions, cela représente des obligations bien difficiles à tenir que ce soit pour des raisons psychologiques - Albert semble persuadé que sa présence ne pourrait qu'aggraver l'état de son fils - que pour les difficultés pratiques d'un monde déchiré par la guerre et l'exil.
Laurent Seksik sait donner corps à ses personnages et on ressent une grande compassion pour ses destins qui peuvent apparaitre de l'extérieur, brisés - Mileva - pleinement accompli - Albert - ou simplement gâché par la maladie et les balbutiements d'une psychiatrie naissante - Eduard - mais qui tous recèlent une terrible félure affective. Juger pourrait sembler facile mais L'auteur ne s'y risque pas et je lui en sais gré car qui pourrait prétendre savoir que faire dans une telle situation. Une plongée fascinante quoique parfois dérangeante dans l'intimité d'un des grands hommes du XXe siècle. Poignant!
Le cas Eduard Einstein - Laurent Seksik - 2013 - Flammarion