A trente-cinq ans passé, Margareth Mackenzie se retrouve, sans préparation d'aucune sorte, libre de toute attache ou obligation, riche et sans personne dont elle doive s'occuper. Pour cette femme d'assez bonne famille mais sans grande éducation ni connaissance du monde, c'est aussi inespéré que satisfaisant. Certes elle ne compte pas vraiment se marier, le temps étant sans doute passé pour elle, mais elle espère tirer un plaisir raisonnable de ce nouveau confort qui lui échoie. Elle prend donc sous son aile une de ses nièces, histoire d'avoir quand même un être à qui se consacrer un tantinet, et quitte Londres pour s'installer dans la petite ville de Littlebath, espérant bien nouer quelques relations et mener une vie agréable. Hélas, elle sous estime grandement l'attrait que peut exercer une fortune confortable et bientôt quémandeurs et prétendants se pressent à sa porte sans qu'elle sache bien ni comment les recevoir ni que leur répondre, et ceci n'est que le commencement...
Ah quelle réjouissante lecture que ce roman, aussi acéré qu'un Austen à qui il emprunte quelques thèmes et même une scène ou deux - sans parler du clin d'oeil de Littlebath, à la limite de la farce dans la fantaisie qu'il met à épingler ses personnages - je ne crois pas qu'il en épargne aucun, aussi méticuleux qu'un traité dans la compilation qu'il fait des différents visages de la cupidité et de la convoitise. Pauvre Margareth, durement éprouvée telle une moderne Griselidis (ainsi donc Trollope lisait Chaucer) avant de peut être tirer son épingle du jeu si tant est qu'on lui laisse jouer ses cartes à elle, femme sans cesse instrumentalisée, réduite à l'impuissance et la passivité autant par ses protecteurs potentiels - mais non pas désintéressés, que par les profiteurs voire par les autres femmes qui la méprise ou la jalouse tour à tour pour ce qu'elle possède ou pas, plus que pour ce qu'elle est.
Heureusement, Trollope, tout victorien qu'il puisse apparaitre dans son opinion des femmes, aime son héroïne et en fait une femme qui, si elle ne sait pas ce qu'elle veut, sait fort bien ce qu'elle ne veut pas. Il la sauve ainsi de l'insignifiance et lui donne une personnalité attachante avec quelques moments de bravoure austéniens en diable, notamment celui où lady Ball vient exiger d'elle qu'elle s'engage à renoncer à toute velléité de mariage avec son fils (oui, oui, oui cela rappelle sans doute quelquechose à certaines). Un beau roman donc peu complaisant pour la nature humaine mais singulièrement réjouissant dans son cynisme à la fois pragmatique et romanesque mais sans sentimentalité aucune. Victorien !
Miss Mackenzie - Anthony Trollope - 1865 - traduit de l'anglais par Laurent Bury - 2010 - le livre de poche
PS : Même si la succession des demandes en mariage et la scène avec Lady Ball renvoient plaisamment à Orgueil et Préjugés, Margareth m'a surtout rappelé - toutes considérations d'âge et de fortune mises à part - la Catherine Morland de Northanger abbey innocente livrée toute crue aux pièges et vilainetés du monde.
PPS : Ceci étant mon premier Trollope, j'avoue que l'habitude de l'auteur de commenter les actions de ses personnages et d'en tirer des jugements moraux ou autres m'a quelque peu surprise mais on s'y fait bien en fait...
Lu dans le cadre du mois anglais des dames Cryssilda, Lou et Titine...