Dans le Japon du XIe siècle, la jeune Fuji, comme toutes les filles de la noblesse, rêve de la cour, de son luxe et de ses jardins mystérieux. Pour son plaisir et celui de ses amies, Fuji invente le radieux Genji et rédige de merveilleuses histoires autour de ce prince, séducteur d'une beauté éclatante, poète accompli et amant idéal pour toutes les femmes qui ont le bonheur de croiser son chemin. Peu a peu elle amalgame aux aventures de son lumineux héros les rumeurs et les bruits qui émanent du palais. Peu à peu ses récits circulent et font parler d'elle, jusqu'à la faire pénétrer dans les lieux même qui l'ont fait rêver. Nul ne le sait encore, mais Fuji bientôt rebaptisée Murasaki est en train d'écrire le premier roman japonais...
Le dit du Genji est une oeuvre japonaise majeure et peut être le tout premier roman psychologique du monde mais on sait fort peu de chose sur son auteure. Murasaki Shikibu était dame d'honneur de l'impératrice Shoshi et a laissé, outre les récits du Genji, un journal fragmentaire et un recueil de poèmes. On connait bien quelques dates marquantes de sa vie mais c'est à peu près tout. Liza Dalby s'est donc appliquée à compléter son journal, mobilisant ses connaissances étendues du Japon de la période Heian pour faire revivre sous nos yeux une partie du XIe siècle japonais, cet âge d'or du raffinement des moeurs et des arts, la partie qu'aurait pu en percevoir une femme noble de cette époque.
Et elle parvient merveilleusement à restituer l'atmosphère feutrée, élégante, secrète de ce monde féminin. Tout est vu depuis les chambres des femmes, de derrière les écrans de soie d'où les dames font coquettement dépasser les extrémités de leurs volumineuses manches aux couleurs soigneusement choisies. Car si Fuji fait souvent allusion à la nature dans ses poèmes, il s'agit de celle qu'elle peut contempler de sa fenêtre, celle de jardins et de parcs admirablement travaillés. L'extérieur, a fortiori l'extérieur de Miyako la capitale centre de toute vie civilisée, est pour elle un ensemble de lieux effrayants, incompréhensibles et sans doute dangereux. L'essentiel de sa vie se passe dans le clos de sa chambre, harmonisant des coupons de soie, travaillant ses compositions d'encens, jouant du Koto à treize cordes, rédigeant des lettres, de délicats poèmes et les fabuleux récits du radieux Genji. Une vie bien étroite sans doute à nos yeux, même une fois introduite à la cour - sans grand pouvoir déjà à cette époque - mais riche aussi, sans doute parce que Murasaki trouve en elle et autour d'elle les ressources propres à la création, incorporant à son imaginaire ses expériences, ses fantasmes et ce qu'elle perçoit de la politique et des intrigues de cour - on a d'ailleurs supposé que la vie du régent Fujiwara no Michinaga n'était pas étrangère aux aventures du Genji dont il aurait inspiré certains épisodes.
Écrit dans une langue magnifique inspirée des journaux de Murasaki elle-même et d'autres dames de cour de la période Heian, parsemé de magnifiques poèmes waka datant de la même époque, Le dit de Murasaki est une petite merveille de délicatesse et une magnifique reconstruction historique et littéraire. L'histoire de la gestation et de la mise au monde d'une des oeuvres les plus marquantes de la littérature. Envoûtant !
Le dit de Murasaki - Liza Dalby - magnifiquement traduit de l'anglais par Bernard Hoepffner avec la collaboration de Catherine Goffaux - 2000 - Picquier 2007
PS : Maintenant je veux lire Le dit du Genji évidemment, comment résister à une oeuvre du XIe siècle.
PPS : Je ne rends pas assez justice à ce roman, lisez-le plutôt !
PPPS : Merci Tina pour ce merveilleux cadeau...