Depuis si longtemps maintenant qu'il ne reste aucun souvenir de la catastrophe, l'air de la terre s'est mué en poison pour l'humanité. Les survivants se sont réfugiés dans les profondeurs de la terre et plus précisément dans un cylindre de 144 étages reliés entre eux par un unique escalier métallique. L'étage supérieur abrite d'immenses écrans d'où l'on peut contempler l'extérieur, ou plutôt ce qu'il en reste un désert toxique et stérile. Malgré la tristesse du spectacle, cette vue est le dernier fil qui relie les hommes à l'extérieur et lorsque l'un d'eux commet un acte grave, c'est au nettoyage qu'il est condamné - condamné à sortir pour décrasser des objectifs des caméras avant d'être rongé par l'atmosphère délétère. Le plus surprenant étant que même les pires révoltés, ceux qui jurent jusqu'à la dernière minute qu'il ne feront jamais ce que l'on attend d'eux, s'exécutent toujours...
Les mondes clos m'ont toujours fascinée tout comme les romans post-apocalyptiques, alors les deux réunis, il me fallait y faire un tour. Bonne nouvelle, Silo, phénomène d'édition actuel, est un roman de facture classique plutôt réussi. Publié à l'origine en autoédition sur le net sous forme de nouvelles, il souffre cependant de quelques défauts de conception. Les deux premières histoires sont très réussies mettant en scène des personnages bien campés dans une atmosphère confinée suffocante à souhait et les intrigues fort bien menées permettent de découvrir en filigrane l'univers du silo, ses règles, ses coutumes, son organisation sociale, le tout dans un style agréable et efficace. La dernière histoire en revanche - la plus longue et de loin - écrite à la demande des fans des deux premières - qui se multipliaient - pêche nettement par sa construction et manque de rythme. L'histoire est beaucoup plus conventionnelle et les personnages secondaires moins fouillés. Reste une bonne déclinaison du thème de l'explorateur solitaire dans la lignée de Chroniques martiennes mais version graisse et boulon et un final un rien convenu mais bien accrocheur. Dans l'ensemble un bon roman donc qui aurait mérité l'oeil acéré d'un bon éditeur avant d'être publié - peut être touche-t-on là les limites de l'autoédition.
Entraîné par mon élan et par l'intérêt bien réel que présente ce monde clos, j'ai relu dans la foulée Les monades urbaines de Robert Silverberg dont le thème m'apparaissait étrangement similaire. Dans un futur quelques peu lointain, l'humanité a trouvé la solution à la surpopulation par l'avènement de la civilisation verticale urbmonadiale. Les hommes vivent maintenant enfermés dans d'immenses tours de 1000 étages totalement autosuffisantes. Ce microcosme s'organise en villages d'une vingtaine de niveaux dont la position marque le statut des occupants - les puissants en haut, les pauvres en bas - mais quelque soit sa position, tout le monde se doit désormais d'être heureux dans le meilleur des mondes.
La comparaison des règles strictes qui régissent ces deux univers fermés m'ont bien amusée tant elles reflètent leurs époques d'écriture - liberté sexuelle totale dans celui des années soixante-dix, liaisons contrôlées devant être déclarées et approuvées dans celui des années 2010. Obsession de l'énergie et de l'information dans ce dernier quand le mysticisme, l'hypertechnologie et les psychotropes dominaient le plus ancien. Là où Silo - essentiellement post apocalyptique - exhude la poussière grise du vieux métal, Les monades urbaines campe une pure dystopie toute en lumière dorée et gaité glaçante. La comparaison s'arrête là, le Silverberg, publié lui-aussi sous forme de nouvelles en son temps, est à mon sens bien meilleur tant du point de vue de l'écriture que des intrigues ou des personnages mais je suis sans doute injuste, c'est un de mes romans cultes. No futur !
Silo - Hugh Howey - traduit e l'anglais par Yoann Gentric et Laure Manceau - 2013 - Acte sud exofictions
Les monades urbaines - Robert Silverberg - traduit de l'anglais par Michel Rivelin - 1974 - Laffont
Lu dans le cadre de l'année anticipation de Julie et du mois américain à rallonge de Noc tembule