Il parait qu'autrefois certains animaux traversaient le ciel grâce à leur ailes, de fins bras couverts de plumes qui battaient comme des éventails. Ils glissaient dans l'air à plat ventre, sans tomber. (...) On les appelaient "les oiseaux". Petite, j'ai demandé à ma mère de me raconter, mais elle a changé de sujet. Cette histoire d'"oiseaux" est-elle vraie ? Voilà le genre de question que se pose Petite boîte d'os, la fille du pasteur, quand elle rêve sur les pontons de son village, près du lac dont les eaux semblent monter année après année tandis que la pêche - principale activité du coin - cède peu à peu la place à l'élevage de cochons amphibies fluorescents. Car tout comme l'eau monte, le changement est inévitable et Petite boite d'os en sera inévitablement spectatrice. On ne saura pas grand chose de plus sur ces cochons qui luisent doucement dans le lac-cimetière, ni sur ces fameux oiseaux. Ont-ils existé ? Et si oui, que sont-ils devenus ? Mais on saura tout de Petite boîte, de sa famille, de sa vision du monde et de sa vie...
Comment parler de ce très court texte - à peine une cinquantaine de pages - d'une densité exceptionnelle. Je le vois comme un long poème en prose à l'écriture lumineuse qui aurait très bien pu s'appeler Vie ou Changement. J'aime son titre cependant, Monde sans oiseaux, car il épingle sans en avoir l'air la subjectivité de ce regard qui sera notre seule fenêtre sur ce monde qui reste un mystère. Je l'ai lu en apnée, d'une traite, je ne dirais pas fiévreusement car la langue est trop belle pour qu'on la survole mais sans pouvoir le poser une seconde. Non à cause d'un quelquonque suspens mais comme prise au piège de cette femme simple, aussi ordinaire et complexe que vous et moi. On grandit avec elle, on questionne, on se révolte, on s'assagit, on aime, on souffre, on vieillit et on referme le livre quelque peu désorienté et passablement hors du temps... Beau et effrayant comme un lac dont l'eau monte !
Monde sans oiseaux - Karin Serres - 2013 - Stock
L'avis de Julie des magnolias avec qui je partage cette lecture commune, lecture qui pourrait également faire partie d'un hypothétique challenge 1% de la rentrée littéraire (je me rapproche, j'en suis à trois livres lus sur six)