Tout le monde connaît aujourd'hui Faust et son inséparable Méphistophélès, l'histoire de ce pacte de sang - une âme contre quelques années de puissance - a été reprise sous tant de formes que le mythe nous semble exister de toute éternité. L'origine pourtant peut être retracée depuis la vie d'un certain professeur d'université (il aurait enseigné Homère en illustrant ses cours à l'aide d'une lanterne magique) quelque part en Pologne ou en Allemagne, qui aurait eu quelques problèmes tant de dogme que de moeurs et une mort potentiellement tragique (genre bûcher, très tendance à l'époque). Quoiqu'il en soit des détails (assez brumeux au reste), un premier récit de sa vie tombe vers 1590 entre les mains du peu recommandable Christopher Marlowe (dramaturge, tragédien, poète, espion, faussaire, que sais-je encore ?), qui en tire une pièce inclassable. A partir de ce moment, le Faust historique quel qu’il puisse être, s'efface devant le personnage de fiction et ses multiples avatars.
Un brin d'intrigue pour ceux qui aurait manqué le début, le très savant Faust persuadé d'avoir épuisé toutes les possibilités de connaissances terrestres et avide d'en savoir toujours plus, invoque (par provocation ?) le diable et voit paraître Méphistophélès qui lui propose un contrat en bonne et due forme: tout ses souhaits réalisés sur terre en échange de son âme (une paille), le tout officialisé par une petite signature sanglante. Faust accepte donc sans trop d'états d'âme (justement) vingt-quatre années de terrestre toute puissance contre une âme en laquelle il ne croit pas... jusqu'à ce que la date d'échéance approche tout au moins.
Comme plusieurs des lectrices (y'avait-il des lecteurs ? oui un me dit-on dans l'oreillette) qui se sont de concert plongées dans cette pièce, cette lecture m’a laissé des impressions contrastées voire contradictoires. Sur les cinq actes que compte la pièce, j'en ai trouvé trois excellents et deux sans intérêt.
Les deux premiers sont réjouissants au possible, les réflexions de Faut sur le savoir et la religion (I think hell's a fable - il fallait oser en 1593!) sont d'une irrévérence délicieuse (Ah son exigence de voir Méphistophélès sous la forme d'un moine franciscain plutôt que sous celle d'un dragon, cette forme convenant tellement mieux à un démon !), celles de Mephisto sur l'enfer et vie terrestre (qu’il estime semblable) ne sont pas moins fascinantes:
L'enfer est sans limite, il n'est pas circonscrit
En un endroit précis, il est là où nous sommes
Et là où est l'Enfer, toujours nous devons rester.
Si les interventions du bon ange et du mauvais ange restent classiques, le divertissement offert à Faust par Lucifer et Belzebuth pour renforcer ses convictions chancelantes et l'engager à penser au démon (et à sa femme) est un must. Les sept péchés capitaux réduits à des personnages de pantomimes dérisoires (quoique la colère parle bien me semble-t-il, je dois y être sensible) y font trois petits tours beaucoup plus drôles que les farces qui font l'essentiel des actes III et IV. Sans doute était-ce au goût du moment de rajouter un brin de grotesque à toute pièce - quoique l'on ne sache pas précisément si ces parties sont bien de la plume de Marlowe - mais je les ai trouvées vraiment faiblardes et pour tout dire absolument pas drôles.
Avec le cinquième acte, on retrouve la plume de Marlowe, l'échéance approche, Faust s'inquiète de plus en plus du marché qu'il a conclu, se pose des questions sur son âme et se demande si l'enfer est finalement bien une fable... Les dernières pages rythmées par l'horloge sont grandioses pas moins.
Pourquoi n'es-tu pas une créature sans âme
Pourquoi la tienne est-elle donc immortelle
(...)
Toutes les bêtes sont heureuses
Car, à l'heure de leur mort,
Leur âme retourne dissoute aux éléments
La mienne ne doit vivre que les tortures de l'enfer
Maudits soient les parents qui t'ont donné la vie !
Non, Faust, maudis-toi toi-même. Maudis Lucifer!
Je pourrais vous raconter encore quelques petites choses sur cette pièce, ses références constantes à la littérature et la mythologie classique (Hélène, Pythagore, les métamorphoses), l'attitude plutôt moderne de Faust par rapport à la religion et à l'église (qui peut certainement s'expliquer en partie par la rivalité catholiques protestants), l'athéisme avoué du personnage (au moins au début) qui reprend semble-t-il celle de l'auteur, le thème du livre qui revient constamment comme symbole à la fois de la connaissance, de la liberté et de la chute, (les derniers mots de Faust sont parlants: "I'll burn my books! O Méphistopheles"), d'autres choses encore mais ce serait beaucoup trop long. Une lecture inégale donc mais riche et que je suis plus qu’heureuse d'avoir partagée avec mes estimables colectrices (/lecteur). Elizabéthain !
Le docteur Faust - The tragical history of doctor Faustus - 1604 - Christopher Marlowe (1564-1593) - La traduction que je cite est de François Laroque tirée de l'édition bilingue GF Flammarion
Les vaillants colecteurs sans peur et sans reproches : Cryssilda, Céline le blog bleu, Emma, Fashion (mouhahaha), Isil, Isleene, Lou, Martial, Sabbio, Stéphie, Titine, The Bursar.
PS : Christopher Marlowe, contemporain du grand Will, est mort dans une rixe (à moins qu'il n'ait été liquidé discrètement du fait d'activités diverses mais répréhensibles) à l'âge de 29 ans, c'est donc une recrue de choix pour le challenge nécrophile.
PPS : Je ne le conte pas dans le challenge "Lire en Vo" mais j'en ai lu une bonne partie en anglais - très lisible d'ailleurs et très beau - essentiellement les trois actes qui m'ont plu quoi !