Un roman de Vargas ne se résume pas, enfin pas vraiment. D'ailleurs cela n'aurait pas vraiment d'intérêt. Disons simplement que le commissaire Adamsberg, toujours prêt à se laisser couler dans l'étrange et le bizarre, se retrouve embarqué dans une sombre histoire d'armée fantôme putréfiée, de saisis malfaisants, de grimveld, de pigeon entravé, de surdoué parlant à l'envers (oui à srevne'l), le tout se détachant en clair sur une histoire beaucoup moins romantique d'assassinat par le feu dans le milieu de la grande industrie.
Il y a du conte dans les romans de Fred Vargas, de ces contes noirs et cruels qui font frémir des familles entières au coin du feu depuis que les humains ont commencé à se raconter des histoires. La raison et la déraison se mêlent, les uns réfutant ostensiblement ce qu'ils redoutent en secret, d'autres se vautrant dans la superstition, d'autres enfin craignant plus que tout les effets délétères des peurs cachées. Derrière la cavalcade de la mesnie du seigneur Hellequin, c'est l'humanité qui se déploie dans toute sa crédulité, sa cupidité, sa bêtise, sa sauvagerie aussi parfois. Pour autant à travers la poésie décalée et nonchalante de Vargas, émerge une intrigue solide, logique à la solution ingénieuse et - pour moi - imprévue. Il est vrai que je ne cherche jamais le fin mot d'une enquête - ou dans ce cas de plusieurs, je suis très Adamsberguienne dans l'âme, je me laisse porter par l'histoire jusqu'à ce qu'elle se résolve d'elle-même sous mes yeux.
Est-ce ce subtil parfum médiéval, ces personnages insolites, ces petits déjeuners sous les pommiers, ces cruautés ordinaires, ces dialogues drôlatiques ou cette façon de paraitre tout mettre sur le même plan, patte de pigeon, voiture incendiée, crime à la hache et morceaux de sucre ? Toujours est-il que sur moi le charme agit, il fonctionne même terriblement, me laissant comme toujours enchantée et frustrée à la dernière page, enchantée de ma lecture et frustrée de l'avoir déjà terminée. Magique !
L'armée furieuse - Fred Vargas - Viviane Hamy - 2011
Merci chiffonnette pour ce prêt délicieux
PS : Saviez vous que la légende de la cavalcade de la mesnie d'Hellequin a pour origine à la fois une vieille légende scandinave et la vie "romancée" en chanson de geste du conte Hennequin de Boulogne (IXe siècle), poème que Walter Scott aurait traduit en son temps (Isil tu lis ça ?)
PPS : Et que le nom d'Hellequin de transcriptions en transcriptions fut à l'origine de celui d'Arlequin ?
PPPS : et comme vous savez que je résiste mal aux textes médiévaux, voici quelques vers de huon de Mery
De la maisnie Hellequin
Me membra quant l'oï venir;
L'on oïst sun destrier henir
De par tut le tornoiement.