Dans le cadre du colloque international sur l'achèvement d'oeuvres incomplètes en musique et littérature joyeusement intitulé Completeness is all, un exceptionnel panel de détectives se rassemble dans le but de résoudre le très fameux mystère d'Edwin Drood (MED pour les initiés), dernier roman inachevé du célébrissime Charlie D. (oui Dickens vous avez bien compris). Et quand je dis exceptionnel, je pèse mes mots ; tout le monde est là, tout ce que la littérature compte de détectives célèbres, de Maigret à Poirot en passant par Marlowe, Sherlock, le Père Brown, et même Porphyre Petrovitch dont j'ai fait la connaissance il y a peu dans Crime et Châtiment, tout le monde vous dis-je ! Et tous se penchent de concert mais non sans accrochages, affrontements d'ego et autres pinaillages sur cet étrange cas de disparition, lâchement laissé en plan par Dickens qui eut la mauvaise idée de mourir avant d'avoir livré le fond de sa pensée. Une enquête hautement littéraire donc mais néanmoins, participants obligent, étonnamment policière...
La construction de ce malicieux roman est remarquable, les chapitres de Fruterro et Lucentini mettant en scène les enquêteurs alternent avec les chapitres du MED, en fait les différents fascicules de la première publication, sur lesquels tant de (vrais) spécialistes planchent depuis près d'un siècle et demi. Au départ je me suis dit que ce serait une agréable et ludique façon de réaborder Dickens - comme quoi les préjugés ont la vie dure car bien que j'aie adoré Les grandes espérances, je ne pouvais m'empêcher d'imaginer une lecture laborieuse. Je fus donc tout bêtement étonnée par la fascination que j'ai tout de suite éprouvée pour l'histoire inachevée, au point d'avoir parfois envie de passer un peu vite sur les chapitres intercalaires, pourtant drôles au possible. Je dois être faite pour Dickens ! Mais je m’égare, quoiqu'il en soit je me suis positivement régalée avec ce réjouissant hommage tant à Charles qu'à la littérature policière en général. Voir certains de mes héros préférés avec leur ton particulier débattre ensembles autour cette passionnante intrigue fut un pur plaisir. Dois-je ajouter que j'ai nettement senti une communion d'esprit avec les auteurs qui me semblent avoir une certaine préférence pour les enquêteurs anglais. Je compte bien sûr Poirot comme un anglais, vous m'en excuserez, et je vous avoue que sa magistrale conférence finale m'a enthousiasmée tout comme l'astuce avec laquelle l'énigme se trouve, d'une certaine façon au moins, résolue. Jubilatoire !
L'affaire D. ou le crime du faux vagabond - Dickens, Fruterro & Lucentini - Traduit de l'italien par Simone Darses - Seuil 1991 - Points 1993 (MED Traduction de l'anglais par Charles-Bernard Derosne (1874) revue et corrigée par Gérard Hu
Les avis éclairés et enthousiastes de la lumineuse Cuné et de la rayonnante Isil (que je remercie encore pour son prêt) à elle deux, elles feront lire Charlie à la planète entière !