Tout a commencé par une nuit sans lune et un alléchant article de la sublimissime Mo.
Enfin il est possible que cela ait commencé un rien avant, quand nous avons décidé à quelques unes de créer la rentrée littéraire 1220 et des poussières et de revisiter quelques auteurs sinon oubliés du moins peu en vogue. Mais en ce qui concerne Grégoire (oui je l'appelle Grégoire maintenant bien qu'il ait été canonisé depuis. Je suis certaine que de savoir qu'il serait un jour saint Grégoire l'aurait comblé), c'est bien Mo qui est à l'origine de tout. Comment en effet résister à sa description ébouriffante des moeurs mérovingiennes ? Je vous le demande et je réponds, impossible ! D'autant que l'aube des peuples est une collection que je révère (bien qu'en l'espèce ce volume manque cruellement de cartes et d'arbres généalogiques mais passons). Me voici donc embarquée, avec mon indispensable colectrice en bizarreries diverses, la tolkiesnesque Isil, dans cette histoire des rois francs rédigée en temps réel par ledit Grégoire. Car ce qui fait le charme de ce récit, bien plus facile à lire que prévu, c'est que l'auteur nous conte, pour une bonne part, ce qu'il a vu ! Oh certes l'objectivité n'est pas son fait (ni de son temps), mais quand il parle de Frédégonde et Brunehaut (que je connaissais depuis mon enfance, les femmes de douteuses réputations perdurent dans la mémoire collective), il parle de personnes qu'il connait, fréquente, avec qui il a partagé repas et conversations. (Il n'hésite d'ailleurs pas à se mettre lui-même en scène, précisant ainsi à diverses reprises que quand des choses abominafreuses se passent à Tours, c'est toujours en son absence...) Cette proximité rend sa chronique extrêmement vivante, et même drôle. Le comique en est certes probablement involontaire, dû à la distance culturelle entre nous et ses braves (enfin brave, je m'entends) guerriers pour qui couper une chevelure noble était bien plus grave que de couper la tête correspondante, ce dont ils ne privaient pas au demeurant. Et si l'on se perd bien un peu dans tous ces liens de famille entre intrigants toujours prêts à s'entretuer (avec femmes et enfants) pour une couronne, une région ou une ville, on se réjouit de savoir qu'à l'époque on croyait encore en la parole donnée surtout agrémentée d'un bon serment. Ce qui n'empêchait personne de retourner sa veste (pardon son vêtement mérovingien) à tout bout de champs, de trahir allègrement ses alliés de la veille, de reprêter serment dans l'autre sens et inversement proportionnellement, de chevaucher constamment d'un bout des Gaules à l'autre pour guerroyer deçi delà, de tout ravager au passage à l'aller comme au retour, tout en dotant royalement une abbaye de temps en temps pour se faire pardonner en haut lieu (sans oublier les évêques merci). Une vie active et mouvementée donc, quoique parfois un peu courte. Grégoire a le bon goût de ne pas oublier les dames dans ses récits, bien qu'en homme de son temps, il n'ait que deux modèles en magasin, la vilaine (et je suis polie), modèle Frédégonde et la sainte, modèle Radegonde. Entre les deux, point !
En lisant cette relation si vivante, que le bon évêque ne répugne pas à agrémenter de dialogues enlevés, de saynètes évocatrices et, bien sûr, de quelques sermons bien sentis quant à l'importance de respecter les lieux saints en général et le tombeau du bienheureux saint Martin de Tours en particulier, on ressent tout de même quelque compassion pour le peuple dont il n'est pas question ici sauf accessoirement par la mention de récoltes ravagées, oliviers arrachés et pieds de vigne coupés. Il ne devait pas faire bon cultiver son jardin à l'époque, je vous le dis. Une lecture étonnamment facile, exotique et drôle. Mérovingien !
L'histoire des rois francs - Grégoire de Tours - VIe siècle - Traduit du latin par J.J.E. Roy - L'aube des peuples - Gallimard
L'avis certainement éclairé de la talentueuse Isil !
Mort depuis 1500 ans (je ne sais pas de quoi cela dit) Grégoire est plus qu'éligible au challenge nécrophile et bien entendu à celui de la rentrée littéraire 1220 et des poussières (quoique le Moyen-Âge fut encore bien jeune à son époque)