
Je me suis d'abord rendu compte que je m'en étais fait une image totalement fausse, je m'imaginais le roman d'une vie echevelée sur fond dramatiquement historique et bien ce n'est pas cela, pas du tout... Qu'est-ce alors ? Et bien c'est là que cela se complique !
Le point de départ est une petite fille toujours sur le fil de la différence. Son grand père a commencé par lui attribuer un surnom masculin, le prénom de son fils ainé (son oncle à elle) qui est mort pour les roms en quittant les clans et tournant le dos à la tradition. Ce même grand père lui a également appris à lire, chose interdite dans une culture qui revendique son oralité. Plus tard les chansons de Zoli séduisent un poète communiste "officiel" qui tente de la faire connaitre. Est-il sincère ? Peut-être. Mais le pouvoir en place a décidé d'utiliser cette poétesse tsigane à sa façon, en faisant d'elle le symbole du "nouveau" tzigane, "libéré" de la tradition ce qui signifie à terme intégration et sédentarisation... Entre temps Zoli a été bannie par les siens après la publication de ses poèmes. Commence pour elle une errance absolue vers nulle part qui aboutira contre toute attente a l'apaisement.
Tout d'abord je voudrais dire que le style de Colum Macnamm m'a complètement bluffé. Son écriture est à la fois puissante, brillante et d'une force d'évocation incroyable. Je suis encore sous le charme, il fallait que ce fut dit !
Ensuite, je crois comprendre pourquoi ce livre a parfois déplu et en particulier à cause de Zoli elle-même, ce point central, un personnage aussi peu attachant que possible. Alors qu'on semble suivre sa vie pas à pas, jamais elle ne montre le moindre sentiment, le moindre recul, le moindre intérêt pour qui que ce soit. Etre centrée à ce point sur soi-même rend rarement sympathique et peut même sonner creux. Pourtant c'est un peu là que j'extravague parce que pour moi Zoli a rapidement cessé d'être un personnage pour devenir un symbole ou plutôt une allégorie.
Allégorie du peuple rom et de son histoire. Tolérés, pourchassés, instrumentalisés, admirés, méprisés, les roms ont développé une culture opaque et secrète qui ne s'ouvre pas facilement. De ce point de vue, Colum McCann livre un étonnant témoignage, pas une réflexion ni un essai, simplement une vision sans angélisme ni diabolisation d'un peuple a priori incompréhensible pour la plupart des gens et qui de toute façon ne cherche pas spécialement à s'expliquer.
Allégorie également des changements imposés par le XXe siècle, entre tradition et modernité, oralité et écriture, nomadisme et sédentarisation, mais aussi marge et intégration, préjugés des uns contre a priori des autres, rejet contre refus. A ce sujet il m'a semblé que le propos tendait nettement vers l'universel... L'acculturation par les sociétés dominantes fait des ravages depuis des siècle et le XXe n'est pas une exception. Les hésitations de Zoli, ses transgressions, ses discours successifs parfois contradictoires mais pratiquement toujours formatés (tradition puis communisme puis tradition), ses chutes en avant, ses tentatives de retour en arrières m'ont paru représenter les à-coups de l'histoire et de la résistance d'un peuple, voire la dynamique de la marge en général plutôt que la vie d'un personnage unique. En ce sens, la fin qui est la partie la plus touchante car les sentiments y ont enfin leur part, boucle assez joliment la boucle puisque la l'enfant de Zoli, fille d'une rom exclue pour avoir mis son nom sur un livre organise un colloque sur la culture tsigane animé par des intellectuels roms... joli retournement mais image bien réelle également de l'inéluctabilité de certains changements.
Finalement un livre étrange, touffu, aux personnages peu avenants, dérangeant par certains côtés mais puissant aussi, poétique et dont la force d'évocation incite à la réflexion.
Lu dans le cadre de la quatrième rencontre littéraire du club


et merci à Bluegrey pour son prêt.
Zoli - Colum McCann - 2007 - traduit de l'anglais par Jean-Luc Piningre, Belfond