
Certes elle a des côtés agaçants, jeune, jolie, riche, gâtée et maîtresse chez elle ou peu s'en faut, elle trompe son ennui en inventant pour d'autres de meilleures destinées ce qui signifie de bons mariages... Si elle se contentait d'écrire ses intrigues, elle nous rappelerait quelqu'un mais voilà elle veut manier des gens bien réels et ceux-ci ne se comportent pas toujours en marionnettes dociles. Il faut dire qu'Emma est loin d'être aussi perspicace qu'elle le croit en ce qui concerne les sentiments et les pensées des autres. On ne peut pas dire qu'elle se trompe souvent, elle est systématiquement dans l'erreur et malheureusement les quiproquos qu'elle provoque ne sont pas sans effet...
Emma est le cinquième roman de Jane Austen, écrit près de 20 ans après Orgueil et Préjugé et Raison et Sentiments et certaines différences sont sensibles, non pas tant dans le style de l'auteur que dans "l'ordre des choses".
Tout d'abord ici pas de relation préférentielle avec une soeur très aimée. Non seulement Emma vit loin de sa soeur mariée mais elle évite la seule jeune fille de son âge qui soit son égale lui préférant une orpheline pauvre, sans grande intelligence et peu éduquée mais qu'elle peut manipuler à son aise.
De plus, si elle cherche à marier les autres, Emma est parfaitement décidée à rester célibataire, aussi incapable de sentiment et de passion, semble-t-il, que de renoncer à sa quasi totale indépendance. Aucun frisson non, même lorsque, lors du seul et unique bal, un des personnage masculin renvoit comme un miroir l'image d'un Darcy mûri par l'expérience et sauvant de l'humiliation une jeune fille grossièrement ignorée par un facheux.
Car on est loin de la société brillante de ses deux premiers romans, Highbury est un tout petit village où Emma passe son temps entre son père, vieil hypocondriaque égocentrique, son ancienne gouvernante aujourd'hui mariée, la veuve et la fille appauvrie de l'ancien pasteur, le vicaire et sa femme, un beau-frère de 15 ans son aîné et c'est à peu près tout. Rien de très joyeux ni de très relevé comme compagnie... et la satire se déchaine, aussi incisive et vitriolée qu'on pouvait l'attendre. Jane Austen ne décrit que rarement ses personnage, elle se contente de les laisser parler et rien ne pourrait être plus cruel. Tour à tour mesquins, vains, médiocres, sots et j'en passe quand il ne sont pas tout à la fois, ces personnages nous offre un beau défilé et on comprend qu' Emma ait besoin de dérivatif.
Après tout elle est pleine de bonnes intentions et prête jusqu'à un certain point à reconnaitre ses erreurs et à en tirer les leçons. Et là nous retrouvons l'essence du roman austenien, car il s'agit bien d'un roman d'apprentissage, Emma va apprendre à se connaitre, à écouter et à aimer comme les autres héroines de l'auteure mais en frolant de près l'état de peste prétentieuse.
Au moment où elle écrivait ce roman, Jane vivait elle aussi dans un village entre sa mère et sa soeur, entièrement dépendante du bon vouloir des ses frères pour vivre. Les réunions animées, les sorties, les discussions du presbytère paternel plein à craquer étaient bien loin. Et j'avoue que je me suis interrogée sur le personnage de miss Bates, vieille fille sotte et volubile, vivant avec sa mère veuve d'un pasteur, en admiration devant sa nièce, toujours dépendante pour son confort et ses plaisirs de la bonne volonté des autres. Un personnage hautement comique mais sur fond d'amertume et d'une absence totale de perspective d'avenir... Est-ce d'elle-même que Jane se moquait ou avait-t-elle eu une vision de ce que serait l'avenir de sa soeur.
Un superbe roman, magnifiquement écrit, foisonnant, complexe, plein de pièges et de fausses pistes où certains trouveront qu'il ne se passe pas grand chose mais qui m'a tenu sous sa coupe.
Emma - Jane Austen - 1815
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