A mesure que j'avançais, la structure du récit commença à me rappeler une de ses poupées russes qui contiennent, quand on les ouvre, d'innombrables répliques d'elles-mêmes, de plus en plus petites. Pas à pas, le récit se démultipliait en mille histoires, comme s'il était entré dans une galerie des glaces où son identité se scindait en des douzaines de reflets différents qui pourtant étaient toujours le même.
Page après page, je me laissai envelopper par le sortilège de l'histoire et de son univers, jusqu'au moment où la brise de l'aube vint caresser ma fenêtre et où mes yeux fatigués glissèrent sur la dernière ligne. Je m'allongeai dans la pénombre bleutée du petit jour, le livre sur la poitrine, et j'écoutai les rumeurs de la ville endormie couler goutte à goutte sur les toits tachetés de pourpre. Le sommeil frappaient à ma porte, mais je refusai de me rendre. Je ne voulais pas perdre la magie du récit ni dire tout de suite adieu à ses personnages."
Ce jour là, Daniel, 10 ans, revient du cimetierre des livres oubliés, un de ces secrets que recèlent la Barcelone gothique. Chaque visiteur doit y adopter et sauver un livre, un seul ! Pour Daniel ce fut l'ombre du vent, et ce livre va devenir l'Histoire de sa vie.
Je ne saurais mieux dire que Zafon lui-même, poupée russe, galerie des miroirs, son livre est tout cela et plus. Roman d'apprentissage, histoire d'amour romanesque, peinture noire et glauque de la Barcelone franquiste encore exsangue après les années de guerre civile, analyse toute en finesse des rapports profonds mais délicats entre père et fils. Entre plusieurs père et plusieurs fils. car autour de Daniel, les images paternelles se multiplient, se dédoublent, chaque facettes se reflétant dans la personalité de l'adolescent. Dans ce livre d'hommes, les personnages masculins sont d'une force étonnante, Julian le mentor rêvé, Fermin le guide, Fumero la part d'ombre, Barcelo l'initiateur, Isaac le gardien, Sempere senior l'ancre, d'autres pères encore surgis du passé, tous aposant leur marque sur ce récit multiforme. A contrario les femmes du livres, aussi essentielles soit-elles, restent lointaines, évanescentes comme la mère de Daniel morte trop tôt et dont il désespère d'avoir oublié le visage. Ou comme Barcelone, personnage féminin au centre du récit mais brumeuse, charmeuse, insaisissable.
Commencé comme un hymne à la lecture, ce magnifique roman se ramifie en plusieurs fils conducteurs aux genres bien marqués, une intrigue policière complexe, une atmosphère glauque et étouffante, un brin de fantastique, l'esquisse douloureuse d'une époque sombre, de l'aventure et du romanesque... Dans un style superbe de couleur et de texture... Sublime !
Merci Bluegrey de m'avoir vanté ce livre avec tant d'éloquence !
Les avis de Flo, Kalistina, Allie, Caroline et... Bluegrey (j'en oublie certainement)
L'ombre du vent (La sombra el viento) - Carlos Ruiz Zafón - 2001 - traduit de l'espagnol par François Maspero - Grasset 2004